La reconnaissance ne s'achète pas ... heureusement !
Andry Rajoelina, l’ex- maire de Antananarivo, la capitale malgache, a chassé par la force des armes le président élu de Madagascar, Marc Ravalomanana en mars dernier.
Depuis, il est sous la pression du peuple et de la communauté internationale. Son récent voyage en Libye ne lui a pas permis de changer la donne.
L’étau semble se resserrer autour du chef autoproclamé de Madagascar, Andry Rajoelina. Il se débat, en effet, comme un beau diable pour faire reconnaître son régime au plan diplomatique. Boudés par l’UA, la SADEC, l’UE, les Etats-Unis…, il s’est envolé le week -end pour la Libye en vue d’avoir un soutien du frère guide Mouammar Kadhafi. L’objectif était d’avoir la caution de cette grande figure africaine ; qui est, par ailleurs, aujourd’hui président en exercice de l’Union africaine. Rajoelina a effectivement rencontré Kadhafi. Ils ont échangé pendant deux heures. Mais, de l’avis même de la presse officielle libyenne, la rencontre a accouché d’une souris. Cette presse a révélé que, malgré cette démarche, l’UA refuse toujours de reconnaître Andry Rajoelina comme président de Madagascar.
Selon le site www.lejdd.fr, les médias libyens ont montré quelques signes d’agacement vis-à-vis de l’hôte du guide. Ils n’ont fait référence à Rajoelina que par son nom ou en le désignant comme "l'homme qui s'est autoproclamé chef de la présidence de transition". Sur place, sur la Grande île, la mobilisation des légalistes prend de nouveau du volume. Samedi, ceux qui sont pour le retour à l’ordre constitutionnel, donc le retour du président élu Marc Ravalomanana ont réussi à mobiliser 10 000 (dix mille) personnes.
En dépit de l’arrêté pris le 21 avril dernier par les autorités de transition qui suspend les marches dans les lieux publics. Autre fait : Andry Rajoelina tente comme il le peut de se maintenir au pouvoir. Dans cette logique il a proposé deux réformes qui n’ont fait qu’accroître la méfiance de la communauté internationale et l’hostilité de la population. Il a d’abord voulu prolonger la période de transition jusqu’en 2010.
Ensuite, il a exprimé le désir de signer un décret interdisant aux anciens chefs d’Etat malgaches de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Autant dire qu’il veut empêcher Marc Ravalomanana, qu’il a chassé du pouvoir par la force des armes en mars dernier, de revenir à la tête de la Grande île. La pression conjuguée de la rue, de l’UA et de l’UE l’a contraint à revoir sa copie pour ce qui est de sa première réforme. Désormais, la fin de la transition est prévue pour s’achever cette année.
Serge Armand Didi: sardidi@yahoo.fr
19 mai 2009
Ce jour commence la session de dialogue politique sous l’égide de l’Union européenne avec la collaboration du Groupe de contact international sur Madagascar. La communauté internationale va donc tenter de démêler l’écheveau de cette crise malgache. Certains responsables du Gouvernement de transition se sont empressés de prendre leurs désirs pour des réalités pour claironner que seule la Haute autorité de transition (HAT) serait l’interlocutrice de l’Union européenne à cette occasion. Toutefois, l’Union européenne a rapidement démenti ce fantasme risible.
En tant que bailleur de fonds, l’Union européenne veut s’assurer que les institutions politiques actuelles donnent une garantie minimale de stabilité, que les financements qu’elle octroie seront gérés dans les règles de l’art, mais aussi que les conditions d’exécution de son programme respectent les règles et procédures de l’Union européenne. De telles règles ne peuvent être à géométrie variable, car la Délégation locale de la Commission européenne doit rendre des comptes aux gouvernements et contribuables européens au sujet des fonds qu’elle gère. Souvent on entend des commentaires abscons du genre « les bailleurs de fonds n’ont pas le droit d’imposer de conditionnalités pour donner leur aide ». Il vaut mieux entendre cela que d’être sourd : si on ne veut pas suivre les règles des fournisseurs de l’aide, il ne faut pas quémander celle-ci.
Rappelons que les trois-quarts du budget de l’Etat malgache sont soutenus par l’aide internationale, pour laquelle l’Union européenne, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque africaine pour le développement fournissent la plus grosse partie. Convaincre l’Union européenne est donc essentiel pour la HAT, car la reconnaissance par cette institution signifie une ouverture des importantes vannes financières sans lesquelles le pouvoir de transition risque d’être asphyxié. Sans compter que dans un contexte de crise politique où les membres de la communauté internationale ont la volonté de coordonner leurs efforts, plusieurs risquent de se calquer sur la position que prendra l’Union européenne après cet atelier.
Cette session de dialogue politique va donc être primordiale pour les relations entre Madagascar et l’Union européenne. Mais indirectement, elle peut avoir un impact dans la recherche d’une sortie de crise, même si contrairement à ce que beaucoup pensent, il ne s’agit pas encore ici des négociations entre les principaux protagonistes, mais d’un dialogue entre l’Union européenne et ses partenaires. L’objectif est d’aider cette institution à jauger la situation des cinq piliers des Accords de Cotonou. Rappelons que le premier de ces piliers, la dimension politique, est évaluée sur les points suivants : la qualité du dialogue politique dans le pays ; les politiques de consolidation de la paix, de prévention et de résolution des conflits ; le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques basés sur l’État de droit et une gestion transparente et responsable des affaires publiques ; et enfin, une bonne gestion des affaires publiques. Que l’honorable Red’chef et le lecteur me permettent une petite trivialité de langage : rien que sur ce pilier, la HAT est déjà mal barrée.
Mis en avant depuis quelques temps, le sujet des violations des droits de l’homme commence à irriter le pouvoir de transition, qui a subi il y a dix jours la présence d’une mission dépêchée par le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Cette mission n’aurait pas été déclenchée sans motifs sérieux, et a été alimentée par la société civile, la presse et Internet en photos, vidéo ainsi qu’en témoignages de victimes. Sans doute vexés d’être ainsi pris en défaut, certains officiers de l’armée ont tenté de faire croire que les violations des droits de l’homme étaient des affabulations. Mais pour une déclaration de ce genre, combien de vidéo existent-elles sur Youtube ou DailyMotion ? Un précédent éditorial mentionne plusieurs liens vers des images intéressantes, sans oublier l’arrestation de Manandafy au Carlton.
RAZANAKOLONA PAR CI, MAIS PAS COOL PAR LÀ
Les violations des droits de l’homme se sont multipliées de manière éhontée depuis le début de cette crise, ce qui pousse à se demander si la loi n’est finalement pas une girouette qui se place au gré des vents. Au nom de la même loi, Théodore Ranjivason et Manandafy Rakotonirina ont été arrêtés. Au nom de la même loi, Radio Viva et Radio Mada ont été réduites au silence. Au nom de la même loi, la garde présidentielle a tiré à Ambohitsirohitra et le CAPSAT à Ambohijatovo, bien qu’on se demande cependant quelle zone rouge y avait-il à défendre à Ambohijatovo, et à cause de qui et avec quelle intention la foule a été menée en pâture à Ambohitsirohitra. Au nom de la même loi, Bruno Andriatavison et Gilbert Raharizatovo interdisent les ondes de l’audiovisuel public aux opposants. Au nom de la même loi, Patrick Ramiaramanana a empêché les opposants à Marc Ravalomanana de se réunir à Mahamasina et au Malacam (2005), et Michèle Ratsivalaka empêche maintenant les opposants à Andry Rajoelina d’user du Parc d’Ambohijatovo, pourtant inauguré à grandes pompes en Janvier 2009 pour être la Place de la démocratie.
« On continue de bafouer la liberté d’expression et d’interdire les manifestations, de terroriser par les armes la population, de persécuter et d’arrêter ceux qui veulent s’exprimer, de malmener certains médias informant la population sur les réalités du moment, en favorisant par contre certaines stations qui versent dans la provocation et l’incitation aux affrontements », dénonçait l’Archevêque d’Antananarivo le 7 mars 2009. Curieusement, pour pratiquement les mêmes actes, il est subitement devenu silencieux une fois que Andry Rajoelina est passé des podiums de la rue publique aux Palais de la République. Satisfaction de la mission accomplie, aveuglement du partisan ou bien silence de l’impuissant : Monseigneur Odon serait-il un Razana-pas-cool ?
Plate-forme de communication par excellence, le dialogue politique sous l’égide de l’Union européenne sera donc une occasion de propagande pour la HAT. Les défis ne manquent pas. Démontrer que son pouvoir est légitimé par la Place du 13 mai (et d’autres places de grandes villes) et légalisé par la Haute cour constitutionnelle. Prouver qu’elle a le contrôle du pays et que la stabilité est assurée. Convaincre qu’elle a la meilleure volonté du monde pour respecter une feuille de route électorale. Persuader qu’elle est un exemple pour l’Afrique en matière de démocratie, de liberté et de respect des droits de l’homme. Mais dans la mesure où les diplomates européens savent qu’ils fréquentent des politiciens culturellement plus proches d’Ikotofetsy que d’Alice au pays des merveilles, on doute fort qu’ils goberont toutes les couleuvres qu’on tentera de leur faire avaler.
On se souvient du constat sans complaisance fait par Jean-Claude Boidin lors de la journée de l’Europe (9 mai 2009), devant les apparatchiks de la HAT qui ont dû s’étrangler avec les petits fours devant de telles critiques bien loin de l’hypocrisie diplomatique : « Lorsqu’on émet des mandats sans arrestation, et qu’on procède à des arrestations sans mandat, lorsque les élus cèdent la place à des autorités de circonstance, lorsque les ordonnances remplacent les lois, lorsque les fonctionnaires ne savent plus à quel ministre répondre, et que chaque camp rêve de confisquer les moyens de communication de l’autre, il n’existe plus d’ordre social ni de repère auquel les citoyens puissent se référer ; il n’y a plus d’état de droit, et plus beaucoup d’Etat tout court. Le développement, forcément, se trouve mis entre parenthèses ».
Outre le dialogue politique engagé par l’Union européenne ce jour, d’autres membres de la communauté internationale ont semble-t-il engagé des évaluations similaires : la Norvège, mais également la Banque mondiale. Les membres de la communauté internationale tenteraient de voir la possibilité de continuer les projets en cours pour ne pas pénaliser les populations bénéficiaires, mais en faisant transiter le moins d’argent possible par les caisses du pouvoir de transition qui n’inspire pas confiance.
Certes, par rapport à son prédécesseur, le pouvoir de transition n’est pas le seul qui mérite des critiques en matière de gouvernance politique et économique : bien loin de là. Mais la grande différence entre le régime Ravalomanana et la HAT, c’est que cette dernière a fait un coup d’Etat sous prétexte de remettre sur les rails la démocratie, les libertés fondamentales, le développement économique et la bonne gouvernance. Et jusqu’à présent, malgré l’érection poussive d’un Comité des sages, ces promesses sont encore payées en monnaie de singe : les euros sont donc les bienvenus. Mais pour les obtenir, la HAT doit passer par la porte basse : difficile quand on a la grosse tête et les chevilles qui enflent.
Publié par Tribune.com le 19 mai 2009