Coup d'état ou coup d'éclat ?

Publié le par Ny Marina


 

Madagascar a les meilleurs enquêteurs du monde. Super Riri et Super Lili ont encore frappé pendant le week-end dernier, et selon la Radio nationale hier soir, ils ont procédé à l’arrestation d’une vingtaine de personnes soupçonnées d’avoir préparé un coup d’état contre les putschistes (sic) pour la nuit dernière. On aimerait bien que nos gendarmes mettent autant d’empressement à lutter contre la délinquance et la criminalité à Antananarivo. Mais en fait, il fallait s’attendre à ce genre de nouvelles, dès l’annonce d’une rencontre possible à Johannesburg entre le Président Ravalomanana et Monsieur Rajoelina.

 

Ballet bien réglé

  

Le cas est classique depuis le début de la crise. A chaque fois que les modérés aboutissent à un accord de principe sur une rencontre entre les protagonistes, il y a un pseudo-scoop qui apparait les jours qui la précèdent. Avant la réunion prévue à Addis-Abeba (Juillet 2009), l’attaque des locaux de Viva à Ambodivona et cette affaire de bombinettes artisanales. Avant la réunion organisée par le Professeur Zafy à Antananarivo (Septembre 2009), des troubles qui éclatent à Ambohijatovo. Avant Maputo III, ce tir contre la voiture qui transportait Rajoelina à Ambodimita (Décembre 2009). Et donc, maintenant, avant Johannesburg I, une affaire de coup d’état.

 

Le ballet semble être bien réglé. Scène 1, avant chaque tentative de réconciliation, une affaire « fumante et croustillante » apparait. Scène 2, les super-enquêteurs malgaches, gendarmes, policiers et gruits à la solde de la Haute autorité de la transition (HAT), trouvent en quelques heures, si ce n’est minutes, voire secondes, le coupable : le camp Ravalomanana (avec ses variantes : le GTT, les technocrates, les députés etc.). Scène 3, la HAT annonce qu’elle ne participera pas à la réunion de négociation prévue. Nous écrivions ceci en juillet 2009 : « avec un air de vierge effarouchée, le hâtif-en-chef annonce son refus d’aller à Addis-Abeba, parce que [selon lui] on ne se met pas à table avec des terroristes. Sapristi, comme si c’était un honneur de se mettre à table avec un putschiste ». Va-t-on revivre le même cinéma, en changeant juste le nom de la ville ?

 

On peut légitimement se poser la question : ce genre de manège foireux est-il le fruit de l’imagination débordante des voyous du clan Rajoelina, et Dieu sait qu’il y en a, pour empêcher les négociations de se tenir et garder la situation d’accaparement du pouvoir ? On attend donc la réaction du Président de la HAT pour voir s’il a enfin acquis suffisamment de maturité pour ne pas tomber dans le piège et réagir de façon primaire, voire primitive. Cependant, malgré ce cinéma, l’annonce de la rencontre entre le MM. Ravalomanana et Rajoelina à Johannesburg redonne espoir à ceux qui espèrent une sortie de crise. Autrement dit ceux qui attendent dans l’impuissance que les soi-disant grands de ce monde se rendent compte que la plaisanterie a trop duré.

 

Vigilance et persévérance

 

La préparation de cette rencontre se déroule plus ou moins dans la discrétion, car le sujet requiert prudence, tant de la part de l’équipe de médiation que des états-majors politiques concernés. Les uns et les autres n’ont pas envie de dévoiler d’avance leurs batteries, afin d’éviter les effets parasites des entourages, et aussi l’effet de surprise lors des discussions. Cela favorise cependant les rumeurs. Les informations qui paraissent les plus dignes de foi sont donc les suivantes, mais à prendre avec des pincettes et sans véritable garantie. Primo, cette réunion est le fruit d’une initiative conjointe de la France avec l’Afrique du Sud. Secundo, la rencontre aurait lieu le 25 avril, et les deux principaux protagonistes en auraient accepté le principe.  Tertio, prévue initialement pour MM. Ravalomanana et Rajoelina, elle impliquerait finalement MM. Zafy et Ratsiraka. Quarto, une Convention serait signée à cette occasion. Tout le reste n’est que supputation.

 

Mais une des raisons qui motive la discrétion des organisateurs, c’est que ce genre de rencontres destinées à provoquer enfin une sortie de crise n’arrange pas les affaires de tout le monde. Le clan des faucons, qui trouvent leur intérêt dans la situation de chaos actuel, ou tout simplement, qui craignent d’avoir à rendre des comptes une fois que l’Etat réinstaurera un semblant d’autorité légale et légitime, vont tout tenter pour faire obstruction à une sortie de crise négociée. L’annonce de coup d’Etat éventé durant le week-end est un exemple parfait. Cependant, les différentes déclarations de certains politiciens qui déclarent s’opposer à cette rencontre de Johannesburg montrent également que l’adhésion de la classe politique ou de l’opinion publique est loin d’être acquise, chacun y allant de son petit argument.

 

Quatre choses doivent rester à l’esprit des médiateurs, des participants à la rencontre de Johannesburg, mais également de tous les Malgaches. La vraie sortie de crise sera à ce prix, meme si certains éléments peuvent paraitre pénibles ou injustes. Mais la question se pose : avons-nous encore les moyens d’exiger ce qui est agréable ou juste, alors que la guerre civile est derrière la porte ?

  • Premièrement, la capacité de nuisance de Andry Rajoelina, s’il n’obtient pas le titre de « Monsieur le Président », comme un garnement qui fait une scène s’il n’obtient pas son hochet. Si cela peut ramener la paix, que ce titre lui soit octroyé (ce qui était d'ailleurs fait depuis Maputo : que de temps perdu !). Il serait cependant souhaitable que la fonction soit honorifique (comme la Présidence de la HAE en 1991), pour éviter de mettre le pays entre les mains de son incompétence prouvée en matière de gestion de l’Etat. L’essentiel du pouvoir exécutif devrait donc aller au Premier ministre de consensus. Et en aucun cas, Camille ne devrait être considéré comme le point vital obligatoire pour la bonne marche de la Transition.
  • Deuxièmement, pour la réconciliation nationale, impliquer les Présidents Zafy et Ratsiraka en tant que ray-aman-dReny et médiateurs, et non plus parties prenantes. Le conflit est d’abord un conflit entre MM. Ravalomanana et Rajoelina, même si je suis le premier à dire que la crise de 2009 est la fille de 2002.
  • Troisièmement, comme les Français et les Allemands, comme les Américains et les Japonais, et comme les blancs et les noirs sud-africains, le processus de réconciliation nationale doit passer par le pardon des fautes commises. Ceux qui exigent que Marc Ravalomanana ne soit pas amnistié, devraient aussi alors exiger que les coupables de mutinerie, de coup d’Etat ou de l’assassinat de la bouquiniste Haja à Ambohijatovo soient jugés. Et que les entreprises ayant fait faillites et les centaines de milliers de chômeurs puissent porter plainte pour crime économique contre la Nation.
  • Et quatrièmement, que Marc Ravalomanana et le TIM puissent librement se présenter aux scrutins, pour que l’on voie vraiment cette fameuse voix du peuple dont tous se prévalent à tort et à travers.

Gérer l'existant

 

La sagesse signifie être capable de gérer la situation existante actuellement, et non pas rechercher à recréer artificiellement une situation de laboratoire. Il y a eu un coup d’Etat à Madagascar en Mars 2009, avec ses effets et ses impacts qui ont empiré au fil des mois. C’est donc sur cette base qu’il faut partir de façon pragmatique pour bâtir la solution. On peut écrire des éditos, des posts de forum, des livres ou même des encyclopédies, mais la réalité est unique : il faut que la crise cesse dans les meilleurs délais. Aussi, dans la situation de catastrophe actuelle, peu importe que la médiation soit menée par la France, la Françafrique ou le Kirghizstan. Peu importe qu’elle ait lieu à Maputo, Johannesburg, Lima ou Ambodin’Isotry. Peu importe qu’elle se déroule dans un centre international de conférences ou dans des toilettes. L’essentiel est qu’elle est lieu. Toutes les voies idéales ont été épuisées, il s’agit maintenant de remettre les pieds sur terre.

 

Chaque camp a eu un an pour se rendre compte de ses faiblesses et de ses limites. Continuer à demander le maintien du statu quo unilatéral vécu aujourd’hui est tout aussi imbécile que revendiquer un retour au statu quo ante le 17 mars 2009, autrement dit le retour de Marc Ravalomanana au pouvoir. Tout comme le retour aux Accords de Maputo dans leur état initial me semble irréaliste. Comme l'est l’utopie nourrie depuis plus d’un an par les zanak’i Dada, qui rêvent d’un sursaut populaire ou militaire, ou encore d’une action  de la communauté internationale pour bouter les auteurs de coups d’Etat sur la touche.

 

Comme j’avais déjà eu l’occasion de l’écrire à plusieurs reprises, les gens ne viendront à la table de négociations avec sincérité, que si et seulement s’ils sont convaincus qu’ils n’ont plus de marge pour marchander. Tant qu’ils penseront qu’ils ont encore le temps, les atouts et les moyens de se faire désirer, aucune médiation ne réussira. Heureusement, actuellement la HAT est au bout du rouleau, et montre que les seules choses qu’elle maitrise dans ce pays sont les emprisonnements d’opposants et les interdictions de réunion publiques. L’économie et les finances sont à sec, et malgré les discours rassurants officiels, de plus en plus de fonctionnaires ne sont pas payés depuis des mois. Pour le moment il s’agit des hautes sphères (membres et cadres de la HAT, et semble-t-il chefs de région), mais si ça continue ça ira bientôt jusqu’au bas de l’échelle. D’un autre coté, la participation aux manifestations du Magros se réduit comme une peau de chagrin, et l’opposition commence sérieusement à perdre de sa force. Le temps est alors peut être venu de discuter sérieusement. Ce n’est pas trop tôt.

 

Mais l’expérience montre également depuis Maputo qu’Andry Rajoelina est versatile dans ses engagements, surtout à cause de ses (très mauvaises) fréquentations à moustache et à barbe. Attendons donc avant de nous réjouir.

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