Diplomatie d'arracheurs de dents

Publié le par Ny Marina

Un de mes amis emploie un gardien de nuit dénommé Rafidy, gringalet maigrichon de 1m50 beaucoup plus proche de Joe Dalton que d'Arnold Schwartzeneger, mais qui a une extraordinaire voix de basse. Aussi, quand on sonne, ce Rafidy a une façon si impressionnante de vous demander « Iza o ? Iza zao », que vous pensez que c'est au moins un champion du monde de catch qui se trouve derrière le portail. Avant de revenir à la juste proportion des choses quand l'homme apparait en visuel.

C'est un peu à cela que les gesticulations de la Haute autorité de la transition (HAT) me font penser, quand ses dirigeants et ses thuriféraires affirment qu'au nom de la souveraineté nationale, il n'y a pas lieu de tenir compte de l'avis de la communauté internationale. A l'écoute de la déclaration à la Nation de Andry Rajoelina jeudi dernier, on a l'impression qu'il a parlé avec la force de la légitimité et de la légalité d'une élection propre et transparente gagnée avec au moins 70% des voix ; que son pays fait partie du G20 ; qu'il est diplômé de Harvard et qu'en plus, son armée a la maîtrise de la bombe atomique. Hélas pour lui, il n'est qu'un africain auteur de coup d'Etat, dont les résultats socio-économiques attestent de la crédibilité du cursus académique et professionnel d'ex-DJ pour diriger un pays ; qui est loin de faire l'unanimité sur le plan national et encore moins sur le plan international ; qui n'existe politiquement que parce que la Françafrique le soutient à bout de bras ; et qui ne doit qu'à la force des armes d'être à la tête du pays. Ledit pays étant d'ailleurs l'un des plus pauvres du monde, avec trois-quart de son budget financé par l'aide internationale. C'est donc ce dirigeant, véritable terreur géopolitique, qui fait le Rafidy derrière le portail, et tente d'épouvanter la communauté internationale par le son de sa voix, alors que ses muscles n'ont rien de bien extraordinaire.

Il est indéniable que la pauvreté n'est pas une raison pour obéir au doigt et à l'œil à la communauté internationale. Certainement non, même si un minimum de réalisme invite également à la nuance. L'interdépendance des économies du fait de la mondialisation ainsi que les rapports de force géopolitiques, créent de facto des règles du jeu de la vie en communauté au niveau international. On ne peut donc pas décemment considérer la communauté internationale comme tout juste bonne à signer les chèques de l'aide, mais sans avoir son mot à dire : « vazaha paye, et tais-toi » ? Mais au moins sur le principe, la souveraineté nationale est une valeur non négociable, et des milliers de Malgaches sont morts pour elle en luttant contre l'envahisseur français. Full disclosure comme dirait Patrick : trois membres de ma famille ont été fusillés en 1947, et je ne pense avoir de leçons à prendre de qui que ce soit sur les valeurs de nationalisme et de patriotisme. Et surtout pas de la part de putschistes hâtifs françafricains et de leurs griots.

A tout saigneur, tout honneur

Mon ami Achille du blog Reflexiums a récemment écrit que « Chaque peuple a son seigneur ». Comme très souvent, je suis d’accord avec lui, sauf que moi j’aurais écrit saigneur… L'expérience planétaire montre que le nationalisme est souvent un argument utilisé par les mauvais dirigeants pour tenter d'imposer des faits inacceptables au regard de normes considérées comme universelles. C'est au nom de la souveraineté nationale que Kim Djong Il a empêché la communauté internationale de s'intéresser à la famine qui sévissait en Corée du Nord entre 1995 et 1999 ; que Pol Pot a fait trucider les intellectuels au Cambodge ; que Ceausescu engagea la Roumanie dans une politique de peuplement dont le principal effet pervers fut le remplissage des orphelinats ; que les sbires de cet abruti de putschiste (pardon pour le pléonasme) de Dadis Camara ont tiré à balles réelles sur les manifestants et violé les manifestantes au stade de Conakry ; que Bokassa s'est fait proclamer empereur ; que Hitler a mis en place les mesures antisémites en Allemagne ; que Pinochet a fait torturer 35.000 personnes ; que Staline a joyeusement envoyé des millions de ses compatriotes dans les goulags ; et que Mugabe a fait détruire les bidonvilles et expulse 700.000 personnes hors de la capitale Zimbabwéenne.

On notera pour l’anecdote que suite aux exactions lors de la guerre du Biafra, le concept humanitaire de « droit d’ingérence » a été théorisé par quelques personnalités, dont … l’actuel grand manitou de la Françafrique, Bernard Kouchner.  En fait, le concept de souveraineté nationale est l’argument numéro un des dictateurs qui exigent d’avoir les coudées franches chez eux, sans que la communauté internationale ne fasse montre d’interférence pénible. C'est donc au nom de la même manipulation de ce concept pourtant a priori noble qu’Andry Rajoelina, digne collègue des chefs d'Etats vaillants et remarquables cités précédemment, affirme que les affaires internes de Madagascar ne regardent que les Malgaches.

En effet, l’argumentaire de la HAT affirme que c'est le peuple malgache dans son intégralité qui a choisi le changement et qui soutient le putsch. Et effectivement, le silence assourdissant de la majorité est habilement exploité par le pouvoir hâtif pour faire croire qu'il est seul au monde (à lire absolument ce texte de Citoyenne malgache : « pourquoi sommes-nous silencieux » ?). Une bonne fois pour toutes, rappelons que le peuple malgache fait 19 millions de personnes (dont 7,3 millions d’électeurs en 2006), et que la majorité signifie donc au moins 9,5 millions de personnes (ou 3,65 électeurs dans le cadre d’un vote). A moins de devoir changer de lunettes, je n’ai pas vu ce peuple dans la foule de la Place du 13 mai, qui ne peut d’ailleurs contenir qu’un maximum de 150.000 individus, selon nos calculs. Une poignée de braillards habillés en orange sur une place publique ne peut pas prétendre représenter la majorité du peuple malgache. La vérité n'est pas toujours dans la bouche de celui qui est le seul à parler, ou de celui qui parle le plus fort : avoir raison n'est pas une question de décibels, et l'expression « menteur comme un arracheur de dents » n'est pas fortuite.

Rappelons à toutes fins utiles cette citation que Patrick A. mentionnait dans l'édito du 20 février : « [...] ce sont les chefs d’un pays qui déterminent la politique, et c’est toujours facile d’entraîner les gens. [...] On peut toujours manipuler les gens pour qu’ils appuient leurs chefs. C’est facile. Tout ce que vous avez à faire est de leur dire qu’ils sont attaqués et dénoncer les pacifistes pour manque de patriotisme qui expose le pays au danger ». Ces mots ne sont pas de la communication de la HAT, du moins pas encore, mais d'Hermann Goering, l'un des proches d'Adolf Hitler. Car il ne faut pas oublier que le nazisme (contraction de national-socialisme) a basé sa doctrine sur une manipulation perverse des thèmes du nationalisme et du patriotisme. Populisme et souveraineté nationale sont donc les mamelles des coups d'Etat, car comme disait Louis Latzarus, « il n’y a jamais eu qu’un moyen de se hisser au pouvoir, c’est de crier : Peuple, on te trompe ! ». Et comme Dupond, je dirai même plus : « peuple, la communauté internationale te trompe avec son Maputo !».

Empêcheurs de putscher en rond

En fait, sous couvert de souveraineté nationale, Andry Rajoelina et la HAT souhaitent que les empêcheurs de putscher en rond se calment, aussi bien à Madagascar qu’à l’extérieur, afin que tous gobent enfin le triptyque magique qu'ils rêvent d'imposer. Primo, faire croire qu'il n'y a jamais eu de coup d'Etat. Le nouveau Vice-premier ministre chargé des affaires étrangères a juste été nommé comme outil pour servir de vitrine à cette affirmation, et apporter son témoignage à qui voudra l'entendre sur la transmission des pouvoirs du 17 mars. Malgré toutes les qualités du Vice-amiral Ramaroson, cette nomination est une erreur, car la HAT a plus besoin d'un diplomate de carrière que d'un arracheur de dents. Secundo, faire accepter les élections législatives unilatérales comme seule solution, avec son folklore des gouvernements d'union unilatérale, des assises unilatérales, et maintenant, cet atelier « teny ifampierana » unilatéral. Tertio, pousser à suggérer que ceux qui aiment vraiment leur pays doivent arrêtent les critiques même justifiées contre la HAT, et lui prêter main-forte pour mener le pays vers le prétendu Paradis de la IVème République.

Chacun des trois points est hautement discutable. Car affirmer qu'il n'y a pas eu coup d'Etat en mars 2009, et baser sa rhétorique sur cette affabulation, c'est persister à se mettre le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Les premières déclarations du nouveau Vice-premier ministre chargé des affaires étrangères sont donc dans ce sens curieuses. Continuer à affirmer ce qui n'a convaincu personne depuis un an, c'est non seulement faire montre d'un manque de réalisme et de sens tactique, mais pire, afficher une incapacité à tirer les leçons des douze mois passés. La communauté internationale sait, preuves et témoignages à l'appui, qu'il y a eu coup d'Etat appuyé par des mutins, ainsi que multiples violations de droits de l'homme. Persister à affirmer le contraire s'est s'exposer au ridicule, en insinuant peu diplomatiquement que ladite communauté internationale est stupide en accordant crédit à des photos et vidéos fausses, à des témoignages de menteurs, et en basant ses convictions sur des analyses politiques faites par des Malgaches et des étrangers qui seraient des manipulateurs.

La diplomatie malgache a donc du travail à faire, et d'abord sur elle-même. Car il est illusoire de partir à la quête de la reconnaissance internationale avec les mêmes arguments foireux qui ont échoué depuis un an, et la même dévotion envers le dieu de l'unilatéralisme. J’invite le Vice-amiral Ramaroson à méditer ces paroles d’Albert Einstein : « La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent ». Ce n'est donc pas en faisant le matamore dans ses déclarations que le nouveau patron de la diplomatie malgache va convaincre la communauté internationale. Et après la « bravitude » de Ségolène Royal et la « bogossitude » de Michael Vendetta, le Vice-Amiral Ramaroson vient de placer un autre nouveau mot au firmament de la langue française en affirmant que Marc Ravalomanana s'était « auto-putsché ». Qu'il serait donc niais ce Ravalomanana d'avoir remis les pouvoirs à un directoire militaire le 17 mars 2009, alors que rien ne l'y obligeait. Et surtout pas la mutinerie du 8 mars 2009, ni l'attaque armée du Palais d'Ambohitsirohitra le 16 mars 2009, et encore moins les déclarations de Rajoelina sur la Place du 13 mai qui revendiquait le pouvoir depuis le 31 janvier 2009, lequel Rajoelina s’est même permis de nommer un Premier ministre le 8 février 2009.

Alors, fait-il croire la propagande hâtive ou les arguments des légalistes ? Faut-il plutôt avoir foi dans cet auto-putschement ou dans l’auto-proclamation de celui qui aime se faire appeler Président ? Au nom de la liberté, chacun pensera ce qu’il veut. Mais pour ma part, quand Andry Rajoelina et le Vice-Amiral Hippolyte Ramaroson disent qu'il n'y a pas eu coup d'Etat, c'est un peu comme s'ils posaient une bouse de vache bien fraiche sur la table, et obligeaient tout le monde à croire que c'est du ravitoto (1).

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(1)   Pour les non-initiés à la cuisine malgache, le ravitoto est une purée confectionnée à base de feuilles de manioc pilées. C’est un mets délicieux, mais qui peut avoir un aspect peu engageant pour ceux qui le voient pour la première fois.

 

Ndimby A.


 

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