Assises mal assises

Publié le par Ny Marina

1 avril 2009

Tournant important dans l’histoire de ce régime de transition : hier, l’armée n’a plus procédé à une répression musclée des manifestations pro-légalité et pro-Ravalomanana, et a joué son véritable rôle de maintien de la paix en protégeant les manifestants contre les provocations habituelles d’une poignée d’excités payés par des malotrus. Les pro-TIM et leurs alliés ont donc pu avoir accès un instant à la Place du 13 mai, avant de choisir de la quitter après une concertation courtoise avec les gendarmes. A quoi devons-nous cette évolution salutaire ? A une prise de conscience des bidasses que la loi préhistorique du plus fort était finie ? A une fermeture des cercles mess des officiers ? A une recherche de respectabilité du régime de transition, suite aux lectures assidues des éditoriaux de Tribune.com par les apparatchiks du régime de transition (lol, faut pas rêver) ? A une marche arrière devant le scandale international des images vidéo du CAPSAT sur internet, et dont certaines copies sont distribuées dans les ambassades locales ? Rayer la mention inutile, du moins si vous en trouvez une.

VOLONTÉ D’APAISEMENT A LA VEILLE DES ASSISES NATIONALES ?

Cependant et finalement, cela pourrait aussi n’être qu’un nouvel état d’esprit qui se veut apaisant et en marche vers une démocratie réelle. On se demande par ailleurs par quel miracle. Quoi qu’il en soit, on a tellement critiqué le comportement des soudards aux bérets rouges qu’il serait injuste de ne pas prendre note de ce revirement positif, que l’on doit à la gendarmerie et à la Police nationale. On note entre parenthèses que ce changement de comportement intervient au lendemain de la rencontre de Monja Roindefo avec « les représentants des représentants » de la communauté internationale (entendre par là les seconds couteaux, aucun des chefs de mission diplomatiques n’ayant fait le déplacement). Plus de retenue a-t-il pu être arraché auprès du chef du Gouvernement ? Le nouveau pouvoir est en effet soucieux de ne pas donner du Gouvernement de transition une perception d’Etat-voyou, peu propice aux tentatives de séduction des carnets de chèque des bailleurs de fonds.

Il est évident que ce changement de comportement des forces de sécurité ne peut que faire baisser la tension, à la veille de l’ouverture des Assises nationales. Ces rencontres de la plus haute importance nécessitent un climat serein et apaisé pour être pleinement productives. La préparation et l’organisation de ces assises présentent des lacunes certaines, et l’absence des pro-TIM, des pro-légalité, du CRN (puissant en Province) et du MFM les rend dès le départ biaisées et bancales. Toutefois, on sent quand même une volonté de la part de plusieurs parties de les optimiser. Alors, comme deux jours ne pourront jamais suffire pour refaire le monde, il faudra peut-être envisager des rencontres supplémentaires pour affiner, et se contenter pour cette première édition d’un accord minimaliste mais consensuel.

Si le Comité de coordination des organisations citoyennes (CCOC) s’est désisté, la participation de la plupart des organisations de la société civile qui militent sérieusement depuis des années (telles que le CERES, le SEFAFI ou le CNOE entre autres) donne un cachet de crédibilité à ces rencontres. Elles ont sans doute compris qu’on ne peut changer un système qu’en s’infiltrant à l’intérieur, et qu’il fallait malheureusement « faire avec » dans le présent contexte. Ces organisations étaient membres du CCOC, mais ont décidé de s’affranchir de la tutelle de cette structure de coordination et d’y aller en ordre dispersé. Malgré leurs nombreuses imperfections, ces Assises nationales ont le mérite de se tenir. La sagesse commence par ces mots : si on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a.

RIEN NE PEUT SE FAIRE SANS LE TIM ET LES « LÉGALISTES »

La position du TIM et des pro-légalité risque donc d’être fragilisée si ces Assises nationales se passent bien et débouchent sur une adhésion plus ou moins large vers une sortie de crise. Cependant, il faut aussi que les participants aux Assises nationales acceptent le fait qu’aucune sortie de crise ne sera possible sans tenir compte des dizaines de milliers de personnes qui battent le pavé chaque jour, symboles de centaines de milliers de personnes de cette fameuse « majorité silencieuse », même si l’expression en horripile certains (1). Et si les esprits éclairés n’arrivent à imposer ce point de vue pendant les Assises nationales, les résolutions de celles-ci risquent de ne pas être profondes et durables. En effet, les fractures au sein de la société sont si profondes qu’aucune des deux principales parties belligérantes ne peut prétendre s’imposer sur le plan national de manière claire, et les blessures mal cicatrisées d’aujourd’hui créent les gangrènes de demain. Avoir la victoire dans les rues des grandes villes ne signifie pas que cette position de force peut durer dans le temps et l’espace. Il y en a un qui doit méditer amèrement sur cela du côté du Malawi.

La présence du TIM et des légalistes à Ambohijatovo comme symbole d’une résistance à la prise du pouvoir par Andry Rajoelina ne peut donc être négligée, si toutefois le désir de réconciliation est sincère au sein du Gouvernement actuel. Ceci étant dit, entre d’une part la prise en compte de cette opposition formée par les partisans de Marc Ravalomanana et les réfractaires au principe du coup d’état, et d’autre part le retour de « Dada » au pouvoir, il y a un fossé qui sera extrêmement difficile à franchir. Car avec les fractures qui existent au sein de la population et de l’armée, accentuées par des révélations pas toujours à l’avantage de Marc Ravalomanana, il faut être lucide : il est impossible d’envisager qu’on puisse revenir au statu quo ante, autrement dit revenir en arrière et faire comme si la crise 2009 n’avait jamais existé. Mais cette lucidité doit également nous rappeler que, quoiqu’en dise la propagande TGV-iste, Andry Rajoelina est arrivé au pouvoir par un coup d’état, même s’il a été par la suite validé par la HCC. Ce raccourci coupable vers le Sommet de l’Etat pèsera toujours sur ses épaules, tout autant que les bévues de Marc Ravalomanana pèsent sur les siennes.

Une véritable réconciliation nationale est donc la seule voie obligée, et implique que pro-TIM et pro-TGV fassent taire leurs divergences. La solution proposée par Albert Zafy d’utiliser une manière consensuelle pour gérer la transition était plus que sage, malgré certains commentaires de forum trop occupés à placer le débat dans un contexte ethnique. De même les paroles de Roland Ratsiraka, qui a eu le courage de dire au sein du camp TGV-iste qu’il était nécessaire d’associer le TIM pour partir sur de bonnes bases. Malheureusement, il est fort à craindre que Andry Rajoelina ait choisi la solution de facilité : conclure à son invulnérabilité et son omnipotence d’après les apparences trompeuses de son passage éclair de la rue publique aux Palais de la République.

Sans doute aussi se fie-t-il à la force inébranlable de sa garde prétorienne et des prisonniers qui se disent politiques pour protéger son fauteuil. Mais l’ancien Maire d’Antananarivo doit se rappeler de Ratsiraka ou Ravalomanana au temps de leur splendeur, et qui ont été renversés par des mouvements de foule. Par conséquent, si une base solide n’est pas posée, on restera toujours le pays des prises de pouvoir via la Place du 13 mai. Est-ce bien ce que nous voulons, cette perpétuation d’une tradition d’île de pirates ?

SOLUTION A PORTÉE DE MAIN

La solution nous semble pourtant à portée de main, tout en ouvrant la porte à une reconnaissance de la transition par la Communauté internationale.

Primo, réduire la fracture entre les deux principaux belligérants et leurs supporters. D’un coté, assurer le retour de Marc Ravalomanana au poste de Président de la République, avec aucun pouvoir et un rôle symbolique. D’un autre coté, laisser Andry Rajoelina à la tête de la HAT, également avec un contenu symbolique. Le pouvoir exécutif doit être laissé aux mains d’un Premier ministre choisi par consensus entre toutes les forces politiques du pays. C’est également le PM qui doit représenter le pays sur la scène internationale. Toutefois, il faudrait tenter d’arranger tout ce processus en utilisant ce qui peut encore l’être de la Constitution, malgré les viols répétés que cette vénérable dame a subis.

Secundo, la gestion de la transition doit être transparente et consensuelle entre toutes les forces vives de la classe politique et de la société civile. Toute exclusion de fait ou de choix ne peut être qu’une façon de brider le processus, et donc de le voir échouer dans quelques années. L’accord d’Octobre 1991 est un bon exemple, et sur cette base il est possible de créer une véritable transition sereine et productive, et dont les fruits ont une chance d’être pérennes. La HAT devra donc être recomposée pour inclure tout le monde, et ne pas avoir l’image d’un simple regroupement de copains et de coquins.

Tertio, créer la base la plus large possible autour de la réconciliation nationale. Il s’agit de faire amnistie sur les sujets qui fâchent, comme par exemple les événements du 7 février pour lequel les responsabilités ne peuvent être que partagées entre Monja Roindefo et la Garde présidentielle. Amnistie également pour les mutins, et sur les exactions dont ont été victimes certains opérateurs, dont Tiko. Les expériences des commissions « Vérité et réconciliation » en Afrique du Sud, au Libéria ou au Rwanda peuvent être appliquées. Il ne s’agit pas de dire que les problèmes n’ont pas existé, mais que malgré le fait qu’ils aient existé, on choisit de passer l’éponge pour aller de l’avant et construire ensemble un avenir meilleur. Cela ne devrait pas être impossible à Madagascar, car nous n’avons pas connu les horreurs de l’Apartheid ou du génocide comme dans ces pays, qui ont pourtant réussi leur processus de réconciliation. Toutefois, il faut obtenir du groupe Tiko la réparation de tous les manquements au fisc. Tous ceux qui sont accusés de délits économiques depuis 2002 doivent également s’acquitter de leur dus.

Cependant, on ne peut qu’être sans illusion : les hommes politiques Malgaches ont démontré depuis 1960 que leur ambition dévorante les encourageait à ne pas se soucier de l’avenir. Ces idées n’ont donc que très peu de chances de se voir adoptées, car elles n’arrangent pas tout le monde.

L’homme d’Etat pense à la prochaine génération, le politicien Malgache est prédestiné à ne penser qu’à la prochaine élection. Ou à la prochaine crise.

(1) Au sujet de la majorité silencieuse, on notera que celle-ci l’est de moins en moins grâce au web 2.0. Les blogs sur Madagascar fleurissent comme les bourgeons au printemps. Autre exemple d’initiative : la mise en ligne d’une pétition sous forme d’Appel à la majorité silencieuse par Citoyenne malgache.

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Post-Scriptum qui n’a rien à avoir avec le sujet : un avis éclairé peut-il m’expliquer ce que devient une balle d’un tir de sommation? Car en voyant les images des rafales tirées en l’air par les soldats du CAPSAT l’autre jour sur la montée d’Ambohijatovo, je me dis que les balles ne devaient pas être perdues pour tout le monde.

Article publié par Tribune.com le 2 Avril 2009

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