Transition : lasa 'zao ?

Publié le par Ny Marina

Ndimby A.
 
Transition : lasa 'zao ?
 
Un accord a donc finalement été signé à Addis-Abeba pour amorcer la sortie de cette crise, qui commence à nous fatiguer depuis presque un an. Cela ne peut être qu’une bonne nouvelle pour ce pays à l’économie exsangue, et qui a (pour le moment) échappé à divers spectres qui s’agitaient derrière la porte : failed state, rogue state, voire guerre civile. C’est aussi une bonne nouvelle pour Patrick, qui a donc gagné un pari avec votre serviteur : le sage scientifique du binôme aura donc droit à une pizza PM à emporter, dans la mesure où il avait été convenu que le gage était un repas italien. L’avantage de fréquenter les politiciens malgaches à distance par le biais des éditos, c’est que l’on apprend assez vite les ficelles tordues : dans la mesure où ni le menu ni le nom du restaurant n’étaient fixés d’avance (et encore moins par écrit), chacun peut donc interpréter comme il veut.

Pour leur part, il semble que l’équipe de médiation et les quatre mouvances aient pris les leçons des ambiguïtés de Maputo. L’accord signé à Addis-Abeba est assez précis, et boucle l’essentiel de ce qui devait être négocié quantitativement entre les mouvances. Il reste la répartition qualitative des postes ministériels, ce qui risque d'être une autre paire de manches, en particulier sur les ministères de souveraineté (finances, armée, intérieur, affaires étrangères, justice). Cependant, à part ce point, le gros des négociations restantes se feront au sein des mouvances : cela ne sera pas aisé, mais sera cependant moins compliqué que d’arracher un accord entre Monsieur Rajoelina et les Présidents élus et déchus Ravalomanana, Ratsiraka et Zafy. Ici, petite parenthèse : notre ami forumiste Georges Rabehevitra a lancé il y a quelques jours un débat sur l'utilisation du titre de « Président ». Nous nous baserons sur le livre de David Njilie intitulé « Le protocole dans la République  » (L’Harmattan, 2008), et qui confirme qu’il est d’usage que les anciens présidents (ou Premiers ministres) portent leur titre à vie. A notre niveau, cela clôt donc le débat sur le fait d’écrire Président Tsiranana, Président Ratsiraka, Président Zafy ou Président Ravalomanana. Quant à Monsieur Rajoelina, dans la mesure où même non élu, les accords d’Addis-Abeba lui attribuent le titre de Président de la Transition (PT), nous l’appellerons donc avec plaisir et si nécessaire par cette abréviation (par souci d’économiser le nombre de caractères afin de ne pas rallonger inutilement l’article).

Saluons deux petits traits de génie que les négociateurs ont eus pour débloquer la situation et aboutir à cet accord. Le premier est la mise en place de deux co-présidents de la Transition, ce qui permet à toute le monde d’être content : aussi bien celui qui aime se faire appeler « Monsieur le Président », que ceux qui souhaitent lui rogner un bout de son piédestal auto-acquis. Le second est l’ouverture vers ce qui est pudiquement appelé « les autres sensibilités ». Petit clin d’œil à ceux qui ne se reconnaissent pas dans les quatre mouvances, à commencer par Monja Roindefo, l’irréductible de Mahazoarivo ; mais aussi les autres groupes comme ceux qui s'auto-proclament prisonniers politiques. Enfin, question : Alain Andriamiseza fera-t-il partie du wagon Rajoelina, Ravalomanana ou Roindefo dans le prochain Gouvernement, au cas où il aspirerait à sa reconduction ?
Pour la petite histoire, retenons du dernier round de négociations à Addis-Abeba le coup d'éclat (après le coup d'Etat, c'était facile à faire) de Monsieur Rajoelina, qui après avoir eu une prise de bec avec le président Chissano, est sorti de la salle en criant (et même, selon nos confrères de Sobika, en courant). Nous ne commenterons pas, mais invitons le lecteur à réécouter l'interview savoureuse du Professeur Albert Zafy après cet évènement. Notons cependant que Monsieur Rajoelina a présenté ses excuses par la suite au Président Chissano, qui les a acceptées. Cela montre que le PT s'est rendu compte qu'il avait quand même dépassé les bornes, ce qui est sans doute le début de la maturité politique. Par contre, ce qui est risible, ce sont les tentatives des griots sur certaines radios pour enclencher la machine à louanges sur cet épisode calamiteux et indigne de ce niveau de rencontres, que même le PT semble avoir regretté en présentant à juste titre ses excuses.

Que signifie l’accord d’Addis-Abeba ? 

Ne faisons pas la fine bouche : l’Accord d’Addis-Abeba place quand même le pays dans le meilleur contexte pour une sortie de crise, depuis qu'elle a débuté en Janvier. Mais comme l’expérience vaut science, on devra retenir les leçons de cette crise 2009. Chacun le fera pour son propre compte, mais pour notre part, nous en retiendrons trois.

Primo, quoi qu’on en dise, cet accord valide un processus de coup d’Etat. Autrement dit, n’importe quel individu qui pourra rassembler les ressources nécessaires pour produire un putsch à Madagascar pourra espérer se faire appeler un jour Président. Il suffira de trouver (ou créer) les arguments pour hypnotiser la foule, obtenir les sponsors, financer les gros bras, provoquer des mutineries, le tout avec la bénédiction de la Françafrique et le soutien des manigances de l'Ambassadeur en poste localement. Pour arriver à ses fins, peu importera le sacrifice des emplois, des vies, de la stabilité économique ou de la sérénité sociale. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, j’encourage vivement la lecture de la contribution du forumiste Vitagasy sur les méthodes de subversion.

Secundo, il faut saluer la ténacité de l’équipe des médiateurs du Groupe international de contact (GIC), malgré les insultes, les allusions pseudo-nationalistes aux relents racistes et xénophobes, les accusations tout aussi saugrenues les unes que les autres. Depuis l’entrée en lice de cette structure, la rédaction de Tribune.com a toujours été en posture de support aux efforts de médiation internationale, contre les extrémistes de tous bords. Nous ne prétendons pas que tout était parfait, et que la solution trouvée soit idéale, loin de là. Mais les Chissano, Dramé, Ouedraogo et Kodjo méritent notre reconnaissance. Et si cette transition se passait finalement bien, l’Etat malgache devrait songer à décorer ces diplomates qui ont réussi là où aucun Malgache n’en a été capable : concilier ce qui semblait inconciliable.

Tertio, il y a eu un ensemble d’épines au pied de la Haute autorité de transition (HAT), qui l’a empêchée d’en faire à sa guise après son accès au pouvoir le 17 Mars. Les réunions de Magros ; les légalistes (sans être zanak’i dada, même si certains esprits pervers aiment insinuer l’égalité), qu’ils soient politiciens, journalistes, citoyens ; la communauté internationale qui a mis la pression là où le régime putschiste pouvait comprendre ses limites : les caisses de l’Etat. La menace de l'Union européenne a eu son effet, et les levées de boucliers, aussi minimes soient-elles, ont obligé la future défunte HAT (qu’on enterrera sans regrets ni remords) à mettre de l'eau dans son vin.

Une fois encore, nous appelons à la vigilance : la porte n’est pas la route, et cette Transition sera difficile. Bâtir une société juste, équitable et démocratique sur autant de rancoeurs et de blessures récentes ne sera pas une sinécure. Et imprimer un mouvement d’ensemble à une transition tricéphale et à l’effectif pantagruélique (457 personnes) ne sera pas facile.

Monsieur Rajoelina avait promis en Janvier 2009, en inaugurant la Place de la Démocratie qui allait par la suite servir de champ de tir contre ses opposants, de réinstaurer la démocratie, la bonne gouvernance et la performance économique. Dix mois après, on voit ce qu’il en est de sa capacité à tenir ses promesses. Avec leur cursus académique, leurs qualités personnelles et leur expérience des affaires publiques, le Docteur vétérinaire Rakotovahiny et le gestionnaire de formation Rakoto-Andrianirina ne seront donc pas de trop pour encadrer la jeunesse et l’inexpérience de l’ex-DJ.

Dans une contribution la semaine dernière, le forumiste Vuze faisait remarquer avec pertinence les deux critères primordiaux de la sortie de crise : « les élections doivent avoir lieu le plus vite possible et la durée de la transition doit être la plus courte possible ». Mais c’est hélas plus facile à écrire qu’à faire. Car s’il est vrai que les élections représentent la seule voie pour que Madagascar retrouve sa place dans le concert des Nations, il faudrait qu’elles soient libres, équitables, transparentes, et ce afin que le résultat ne soit pas discutable. Tout un programme, qui méritera tout un édito jeudi prochain. En attendant, on va juger cette équipe sur la célérité avec laquelle le député Raharinaivo Andrianantoandro sortira des géoles hâtives, et que ces fantasques mandats d'arrêts contre Constant Raveloson ou autres soient levés. Car il ne faudrait pas non plus que Monsieur Rakoto-Andrianirina se sente tellement à la fête, qu'il oublie ceux qui ont payé de leurs personnes pour qu'il y soit.
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