Do it... If you can

Publié le par Ny Marina

Note préalable : la Direction du journal en ligne Tribune.com a décidé exceptionnellement de transformer cet éditorial en pétition. Rendez-vous le lundi 31/08 à partir de 8 heures du matin sur www.madagascar-tribune.com si vous souhaitez la signer.

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Lettre ouverte à Monja Roindefo

 

Monsieur,

Nous ne nous connaissons pas, et je doute que dans les nombreuses occupations de votre charge, vous ayez le temps de lire les élucubrations d’un des éditorialistes du journal en ligne Tribune.com (1). J’ose cependant espérer que des âmes charitables mettront exceptionnellement ces lignes sous vos yeux.

Le jour où votre nomination comme Premier ministre de la Place du 13 Mai avait été annoncée, j’étais par hasard avec des gens que vous ne connaissiez pas, mais auxquels vous aviez généreusement offert votre aide il y a quelques années face à un problème dans une ville de province. Ces gens avaient donc eu l’occasion de « vous pratiquer », et avaient gardé de vous le souvenir d’un « bon type », selon leurs termes. C’est donc sur cet a priori favorable que je me permets de vous écrire ce jour.

Je suis un légaliste au sens strict du terme, dans la mesure où je suis contre le principe même d’un coup d’Etat. Mais après huit mois de crise, je suis comme une grande partie de la population : pressé de la voir se terminer. Et si le retour à la sérénité pour le peuple et les entreprises passe par une acceptation de ce fait déplorable, qu’il en soit donc ainsi, mais pour une dernière fois. Henri IV avais mis fin à la guerre des religions en acceptant de se convertir au catholicisme et en disant « Paris vaut bien une messe ». Je pense également que la paix à Madagascar vaut bien que chacun fasse taire ses convictions.

Dilemme cornélien : le désir ou le devoir ?

J’imagine le dilemme cornélien face auquel vous vous trouvez : faut-il suivre l’inclination naturelle de tout homme politique, qui est celle d’exercer le pouvoir ; ou faut-il prendre la décision de se retirer pour permettre la sortie de crise ? Car vous en êtes bien conscient, c’est vous qui êtes maintenant le facteur de blocage. Si la mouvance Rajoelina acceptait de lâcher la Primature, les autres mouvances accepteraient bon gré mal gré de lui laisser la Présidence dans une sorte de package. Mais en exigeant les deux postes de l’Exécutif, elle devient facteur de blocage et cherche à avoir le beurre, l’argent du beurre et la bénédiction de la crémière. Si ce n’est du laitier.

Or, du fait de la pression de son entourage, Andry Rajoelina n’aura ni la latitude et encore moins le courage nécessaire pour vous enlever de la Primature, car il se retrouverait accusé de trahison envers les compagnons de lutte. Et quant à ce prétexte de consulter l’avis de la base, vous savez aussi bien que moi que la démocratie directe pour demander l’avis de la foule est un système pernicieux : la foule savamment manipulée et conditionnée ne peut être que l’écho de la volonté de son maître. Vous avez eu l’expérience de la marche sur Ambohitsirohitra le 7 février 2009, et je n’ose pas croire qu’en votre for intérieur, vous ne ressentez pas une part de responsabilité, même minime, dans ces images effroyables. C’est donc sur vous que repose la décision.

Vous êtes suffisamment instruit et au fait des tendances économiques mondiales pour savoir qu’en cas de blocage de la situation, le pire n’est pas derrière nous. Dans un contexte de crise financière et de récession mondiale, nous ne pouvons pas nous permettre de rajouter encore et en toute conscience de graves problèmes internes. Après les morts à Ambohitsirohitra, Ambohijatovo, Amparibe, Anosy et lors de pillages, entre 30.000 et 50.000 emplois ont déjà été perdus. Des centaines d’entreprises ont fermé, ou se sont mises en chômage technique. Maintenant, le spectre de la perte des privilèges de l’AGOA nous pend au nez. 100.000 emplois directs, 300.000 emplois indirects, soit plus d’un million d’individus dont les revenus sont menacés. Sans oublier les 246 millions USD de recettes d’exportation. Nul gouvernement ne pourra gérer la crise sociale sans précédent que cela risque d’entraîner. Beaucoup de ces hommes risquent de devenir des délinquants, beaucoup de ces femmes des prostituées. Et je ne parle même pas de l’avenir de leurs enfants.

Vous connaissez ces chiffres mieux que moi, et je ne m’étendrais pas sur le sujet. Je n’épiloguerai même pas sur la question de la suspension des aides sans lesquelles aucun Gouvernement à Madagascar ne peut survivre longtemps, du fait d’une dépendance qui est sans aucun doute affligeante, mais qui est une réalité. Car contrairement à ce que disent les pseudos-nationalistes et autres apprentis-sorciers de la politique, une république autarcique n’est pas une solution viable, et encore moins de nos jours.

Vous voyez enfin qu’une partie de l’armée commence à être un souci, car une fois qu’on a ouvert certaines boîtes de Pandore, on ne sait jamais ce qu’il peut en ressortir. Le temps n’est plus à rechercher à qui est la faute de cette situation, mais à étudier quelles peuvent être les clés de la sortie de crise.

L’héritage patriotique de Monja Jaona

Vous trouverez toujours des gens qui vont vous pousser à faire le forcing, et à vous encourager à vous agripper envers et contre tout à votre fauteuil de Mahazoarivo. Je vous rappelle la fameuse phrase de Voltaire : « Mon Dieu, gardez moi de mes amis ; quant à mes ennemis, je m’en charge ! ». Je comprends que pour le chef d’un parti comme le vôtre, la situation était une occasion inouïe d’accéder au pouvoir sans trop d’efforts financiers, et qu’il est surhumain d’y renoncer. Vous aviez indiqué dans une interview que « vous étiez un guerrier ». Vous savez cependant que dans toute guerre, surtout quand elle est civile, il peut y avoir un vainqueur sur le terrain pendant un certain temps plus ou moins long, mais le pays et son peuple sont systématiquement les perdants.

J’en appelle donc à l’héritage moral que vous a légué votre père, le grand nationaliste Monja Jaona. S’il fallait faire un choix entre la satisfaction légitime de votre ego (nous sommes tous des êtres humains), d’une part, et une réelle contribution personnelle au retour de la paix de votre pays, d'autre part, que vous aurait-il conseillé ? J’en appelle à la prospective du regard de cet enfant que vous venez d’avoir au début de l’année 2009 : pensez-vous qu’il lui soit préférable d’apprendre plus tard que la magnanimité de son père a permis la réconciliation nécessaire, ou bien que son intransigeance a favorisé les extrémismes coupables ?

Je ne vous parle pas seulement de grandeur d’âme ou de patriotisme. Je vous parle également de stratégie, et vous invite à reculer pour mieux sauter. Vous avez encore tout un avenir politique devant vous, et renoncer à la Primature pendant la Transition n’est pas la fin du monde, surtout que d’autres postes pourraient vous être proposés, tout en vous plaçant suivant la formule consacrée « en réserve de la République ». Votre retrait volontaire ne pourrait être que bien accueilli par ceux qui recherchent la paix, et au lieu d’avoir sur la conscience une crise sociale d’une ampleur extraordinaire, vous pourrez avoir la satisfaction d’avoir personnellement démontré que vos valeurs patriotiques se placent au dessus de vos ambitions personnelles. Vous savez mieux que personne qu’après les exemples pitoyables de la majorité de notre classe politique depuis 1960, les Malgaches sont à la recherche de bonnes références en matière de patriotisme et de citoyenneté. Imaginez le capital que constituera pour votre futur politique, tant sur le plan national qu’international, une annonce de votre renonciation volontaire à la Primature avant le 4 septembre 2009, au nom de ce fameux « intérêt supérieur de la nation » que toutes les mouvances clament mais que personne ne voit. Eventuellement, négociez avec la mouvance Rajoelina que vous soyez son candidat aux prochaines élections, et offrez votre retrait actuel contre le désistement futur des autres.

Certes, la décision finale ne sera pas facile à prendre, et vous devrez la prendre seul avec Madame votre épouse. Car l’avis des politiciens que vous consulterez ne se fera qu’à la lumière de leur propre intérêt à ce que vous restiez en place. Or, comme disait Albert Camus, « la grandeur de l'homme est dans sa décision d'être plus fort que sa condition ». Contrairement aux conditions nécessaires pour servir vos intérêts personnels et ceux de votre groupe politique (mouvance Rajoelina ou Monima), vous n’avez pas besoin d’être au pouvoir pour servir les intérêts de Madagascar. L’anglophone que vous êtes connaît certainement le fameux texte de Douglas Mallock rendu célèbre par Martin Luther King, et dont la traduction dit :

« Si tu ne peux être pin au sommet du coteau,

Sois broussaille dans la vallée.

Mais sois la meilleure petite broussaille

Au bord du ruisseau.

Sois buisson, si tu ne peux être arbre.

Si tu ne peux être route, sois sentier ;

Si tu ne peux être soleil, sois étoile ;

Ce n’est point par la taille que tu vaincras ;

Sois le meilleur, quoi que tu sois ».

Je vous engage ainsi à être l’élément principal de la solution, et non à être le cœur du problème. L'être humain que vous êtes pourrait souffrir un temps du choix à faire, mais l'homme d'Etat que vous aspirez être n’en sortira que grandi.

Le jour de votre nomination, dans la mouvance d'une Obama-mania compréhensible, vous aviez fait répéter à la foule du 13 mai « Yes we can ». Today, are you able to tell us that « Yes you can » ?

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