L'intérêt supérieur de la ration

Publié le par Ny Marina


 Demi-déception pour tout le monde avec la décision de l'Union africaine (UA) la semaine dernière. Car ce qui a été annoncé n’arrange ni la Haute autorité de transition (HAT), ni l’opposition, ni les légalistes au sens noble  (= anti-coup d’Etat, quel que soit l’auteur, la victime ou la justification). L’UA commence à nous fatiguer avec ses avertissements et ses dates-limites à répétition. La nouvelle échéance est fixée au 17 mars, jour anniversaire du coup d'Etat et du fameux traquenard de l’Episcopat, sous le regard bienveillant du Chef de l’Eglise catholique à Madagascar, Monseigneur Omar (1). Cependant, la formulation de ce dernier ultimatum de l'UA laisse quand même l'espoir que passé ce délai, les sanctions vont enfin effectivement tomber sur le clapier si ses chefs ne changent pas leurs fusils d’épaule. Et outre les classiques interdictions de visa et gel des avoirs, on espère voir rendues publiques l'état de fortune de ces gens à l'extérieur, afin de voir si la Transition a enfanté de nouveaux riches à Très Grande Vitesse. Et si les résultats de l’enquête que mènerait actuellement la discrète mais efficace TRACFIN devenaient publics, cela expliquerait peut-être pourquoi certains pensent plus à leur ration qu’à la Nation. Mais bon, faut pas rêver, TRACFIN est un service français.

Le journal le Monde avait publié en janvier 2008 le patrimoine en France d’Omar Bongo et compagnie. Rappelons aussi que certaines associations en France ont déposé une plainte pour détournement de fonds publics contre des chefs d’Etats africains. J’entends d’ici la voix des pro-HAT devant ces perspectives : ssssshhhhh, aza manao tahak’izany fa manala-baraka ny Malagasy. De toutes manières, cela n’ira pas loin au niveau de la justice française : les bras de la Françafrique étant longs et tentaculaires, la justice française a refusé de donner suite à ces plaintes contre les vassaux de la France. Et les tribunaux espagnols n’ont malheureusement plus leur fameuse juridiction universelle… Mais en France, les associations qui souhaitent attirer l'attention de la justice et du public sur les biens mal acquis des hommes politiques africains peuvent compter sur l’avocat William Bourdon, ou sur Transparency International.

 

Pour en revenir à la dernière décision de l'Union africaine (UA) d'accorder encore une fois un énième sursis aux hâtifs de Madagascar, on peut cependant aussi considérer cet atermoiement supplémentaire de façon positive. La situation actuelle montre qu'après un an de crise, aucun des deux camps en présence n'est vainqueur de façon franche. Et finalement, de ce combat de coqs, il en ressort deux vaincus (Ravalomanana qui a perdu le pouvoir, Rajoelina qui n'arrive pas à imposer son coup d’Etat), et surtout un K.O. : l'économie malgache. Mais comme le taux de croissance de tous les échelons (politique, économique, militaire, population locale, clients chinois etc.) du circuit du bois de rose ne connait pas de récession, la détresse des entreprises qui font faillite et des employés qui tombent dans le chômage n’émeut pas le pouvoir. Car le plus risible, c’est que le pouvoir hâtif affirme que ce n’est pas de sa faute mais de celle des réfractaires « au changement ».

Quant il était encore observateur avisé de la vie politique, Sareraka avait dit ceci au sujet de la crise de 2002 : « tout le monde, qu’on ait été dans un camp ou dans l’autre, a commis un péché, puisque le comportement de chacun était dicté à l’époque par la fureur et la rage contre l’autre » (Express de Madagascar, Il n’y a pas de véritables hommes d’Etat dans ce pays, 9 mai 2003). Maintenant que Sareraka est devenu membre de la HAT, il a perdu sa sagesse et préfère donner des interviews dans la presse sur l’intérêt économique du bois de rose pour Madagascar. Sa efa reraka loatra, ka aleo amin’izay mba miadakadana ao amin’ny tetezamita ?

Dans le contexte actuel où il n'y a ni vainqueur, ni vaincu, il est donc temps de rechercher un autre moyen de sortir de la crise. Car de toute évidence, aucune solution ne peut être apportée, ni par l'unilatéralisme de la Haute autorité de transition (HAT), ni par la foi aveugle dans le retour de Dada ou l'arrivée des forces de la SADC. L'espoir est que les véritables décideurs de chaque camp se détachent enfin des faucons qui planent sur leurs extrêmes, et accordent plus d'intérêt à la voix de la sagesse, de la modération et de la tempérance.


Ainsi, cet ultime délai de trois semaines peut donc se comprendre comme une nouvelle perche tendue, pour capitaliser sur l’esprit consensuel qui commence à germer chez Rajoelina, à défaut d’être (encore ?) exclusif. Reste aux nationalistes du dimanche à prouver ce qu’ils prétendent depuis un an : les Malgache auraient la capacité de trouver une sortie de crise sans passer par la communauté internationale. Mais moi je ne crois pas trop à cette capacité : akoho tsy naneno hatramin'izay efa lasan'ny kary (si un coq qui n’a pas chanté depuis, c’est qu’il a déjà été emporté par le chat sauvage).


Il y a cependant deux faits indéniables. Primo, curieusement, même au sein des anti-HAT purs et durs, il commence à y avoir un sentiment de commisération envers Andry Rajoelina, supposé être prisonnier de ses extrêmes, et qui n'a ni les moyens ni l'envergure d'imposer à son clan le retour à une position raisonnable, même s'il le voulait. L'UA est sans doute un peu dans cette tendance, et espère que le hâtif-en-chef va se ressaisir. Secundo, les faits de ces derniers jours montrent que Rajoelina essaie en coulisses de négocier, même si son discours public semble démontrer le contraire, comme lors de sa conférence de presse la semaine dernière avant la réunion d’Addis-Abeba). Le problème avec Andry Rajoelina, c’est cette inconstance de girouette immature qui décrédibilise le très peu d’efforts de bonne volonté qu’il fait.


Or, ne nous faisons pas d'illusions. Ces trois semaines qui restent ne pourront être mises à profit que si toutes les parties font des concessions et s'abstiennent de provocations. Remaniement gouvernemental intégrant des ramassis de tourne-vestes professionnels, fixation sur ces élections unilatérales, épée de Damoclès sous forme de mandats d'arrêts contre les opposants : voilà ce que la HAT devrait éviter. Et dans le camp d'en face, un bémol sur les déclarations incendiaires et les projets de marches dans la ville est souhaitable.


Andry Rajoelina est à la croisée des chemins. Après un an d’autisme, la pression nationale et internationale est arrivée à le faire douter de sa capacité à poursuivre dans la voie unilatérale, et cela est une avancée notable. Mais l’opposition doit maintenant avoir un minimum de sens psychologique et surtout de sens tactique, car tout faux pas et toute provocation inutile risque de le refaire basculer dans les bras des voyous de son entourage. J’invite le lecteur à relire « Il nous faut des sages au milieu des faucons », éditorial écrit le 12 mai 2009, et qui montre que finalement, la problématique de sortie de crise n’a pas changé malgré le temps. Que de gâchis, car comme Patrick et moi le rappelions chacun à tour de rôle la semaine dernière, « La solution passe par la discussion, sans la pesanteur des faucons, des incompétents, des inconscients et des contoukour ». Les sorties de crise se font par un rapprochement entre les modérés, et non par un utopique rassemblement des extrêmes.


Il faudra donc que l’opposition capitalise sur l’état d’esprit actuel vers la recherche de solution négociée, et ne se trompe pas en faisant le geste ou la parole de travers de trop, qui va ramener la HAT dans ses travers naturels de putschiste autiste. Tous les facilitateurs lors des négociations difficiles savent que pour aboutir à une sortie acceptable pour tous, personne ne doit perdre la face. Chacun doit donc méditer les paroles suivantes de Napoléon, « en guerre comme en amour, pour en finir il faut se voir de près ».

Mais il y a tant d'intérêts en jeu et tant de personnes qui tiennent à l'intérêt supérieur de leur ration (2), que la masse critique pour amener les gens à être raisonnables est bien légère. Efa mirotsaka ny paiso an-kady... Le 17 mars, on risque donc de nous apercevoir que comme tous les autres, cet ultimatum n'aura rien donné de l’UA, sauf des illusions aux naïfs qui pensent que Monsieur Rajoelina peut se défaire de ses mauvais démons. J'ouvre donc un nouveau pari avec mon compère Patrick A. : la HAT ne bougera pas d'un iota de son unilatéralisme, et ce laps de temps de trois semaines ne servira à rien. Gage : un repas japonais, avec sashimiwasabi pour lui.


(1)   Odon Marie Arsène Razanakolona pour les intimes
(2)   Recyclage d’une superbe expression inventée par notre Citoyenne malgache nationale

 

Ndimby A.

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