LA DIFFICULTÉ DE COMPRENDRE L’HISTOIRE

Publié le par Ny Marina

Le lundi 24 août 2009

 

LA DIFFICULTÉ DE COMPRENDRE L’HISTOIRE

 

Le syndrome de Ranavalona ire, ce texte que j’ai commis a provoqué des commentaires, certains positifs, d’autres critiques ou totalement négatifs, et tant sur Fijery que directement. Il convient donc que j’y revienne rapidement, sans toutefois vouloir faire une leçon d’historiographie. Sensible à la compréhension de quelques-uns de ses lecteurs, car tout auteur ne saurait que l’être, je ne m’attarderai pas sur leurs appréciations : « un grand merci au sieur Andriantsolo… », « très bel article » ou article « salutaire », etc., mais sur les difficultés de comprendre le passé. A quoi cela tient-il ?

Cela tient d’abord au fait que, traditionnellement, l’histoire est un bien lova, un bien qui appartient à l’histoire familiale que l’on préserve éventuellement et que l’on ne veut pas perturber par l’histoire des autres familles. Que chacun s’occupe du sien, et, se dit-on, je ne vais pas perdre mon temps à m’intéresser à l’histoire des autres.

Cela tient aussi au fait que, dans le passé comme dans le présent, l’histoire faisait et fait partie des instruments de gouvernement. Une dynastie essayait de faire oublier les dynasties précédentes et s’accordait pour se doter de toutes les innovations des souverains antérieurs. C’est ainsi que l’on a appris qu’Andriamanelo au 16e siècle avait inventé la pirogue et la technique du fer. On se demande légitimement comment les grands ancêtres de ce roi étaient arrivés dans la Grande Île. Sans doute savaient-ils « déjà » nager, mais auraient-ils été capables de traverser l’Océan Indien à la nage ? Nous n’avons aucun document écrit sur la nage des ancêtres à cette lointaine époque, mais nous pouvons êtres certains qu’ils ne sont pas venus en nageant. Quant à l’invention du fer, on sait aujourd’hui, si l’on s’intéresse un tant soit peu aux recherches malgaches faites depuis trente ans par feu David Rasamuel et Rafolo Andrianaivoarivony qu’à Ambohimanana dans le Vakinisisaony, l’on utilisait des couteaux en fer cinq ou six siècles avant Andriamanelo. Ces deux chercheurs ont aussi montré qu’à la même époque l’on n’y avait pas attendu Ralambo, fils d’Andriamanelo, pour consommer de la viande de zébu !

Cela tient également au fait que, l’histoire étant un instrument de gouvernement, le colonialisme a réinventé une histoire de Madagascar où les anciens Malgaches, parfois affublés de la désignation de proto-malgaches, étaient des sauvages – les fameux Vazimba – dont on ne pouvait s’enorgueillir et qu’il fallait dès lors que tous acceptent de devenir des Français avec toute leur civilisation. Dans l’histoire malgache, le discours colonial a péjoré ce qui était bon, minoré ce qui était grand et occulté ce qui ne pouvait être ni péjoré ni minoré. Il avait cru ne retenir qu’une chose, c’est que les Arabes par l’intermédiaire des Antemoro auraient introduit un élément de civilisation important avec les royaumes. Le 16e siècle aurait été le temps du « passage des clans aux royaumes » !

Cela tient enfin au fait que, si l’histoire intéresse tout le monde, peu de personnes en temps normal font l’effort de se tenir au courant des recherches faites depuis quelques décennies. C’est en période de crise que revient ce souci de l’histoire et l’on entend crier à la spoliation de notre histoire. Comme, en 1972, les deux Michou et beaucoup d’autres avec eux reprochaient au système scolaire de les avoir privés de leur langue maternelle, il apparaît que l’histoire devient un éternel sujet de revendication. Ce fut le cri d’un blogueur : « Rendez-nous notre histoire ! ». Sur Madagate, toujours cette année, on a pu lire sous le clavier d’un journaleux évoquant l’insurrection de 1947 que les archives françaises concernant Madagascar étaient solidement interdites à la communication. Ce qui est totalement faux. Et toutes les archives ne sont pas gardées sous cadenas dans l’ancienne métropole – elles y sont simplement conservées et accessibles depuis plus de dix ans. Non seulement on peut les consulter là-bas, mais aussi à Tsaralalana où l’on a des doubles de toutes les pièces importantes.

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C’est ceux qui croient savoir cette histoire et n’en savent qu’une parcelle familiale ou villageoise, qui reprochent à mon texte des défauts.

Les piastres espagnoles ? On en trouve dans tout Madagascar. La piastre espagnole fut, en dehors d’Europe, la monnaie internationale. La royauté espagnole les faisait frapper à Mexico et à Bogota. Les marchands qui venaient dans l’Océan Indien s’arrêtaient en Espagne pour changer leur monnaie d’or contre des piastres d’argent. Les postes de traite se situaient sur la côte, mais les réseaux commerciaux malgaches s’étendaient bien loin dans l’intérieur. Lors de travaux de construction d’une maison à Tsiafahy il y a quelques années, l’on a trouvé une petite vilany nongo contenant une trentaine de pièces d’argent dont il avait été fait un collier. Dans cette trouvaille, ce n’est pas le nombre des pièces qui est important, mais la date de leur frappe : toutes avaient été frappées entre 1651 et 1660. Ce n’était donc pas un trésor qui avait été accumulé tout au long d’un ou deux siècles. Il faut savoir aussi que les coopérants français puis soviétiques étaient des collectionneurs de pièces anciennes dont beaucoup provenaient de la région même d’Antananarivo. Quant à moi, dans les années 80, j’ai refusé à Morondava d’acheter des pièces d’or provenant des tombes sakalaves : autrefois, on en plaçait une dans la bouche du défunt avant de l’inhumer.

La quatrième guerre franco-malgache ne commencerait pas en 1894 – 1994 était une hénaurme et inexcusable coquille –, mais sans doute l’année suivante. J’avouerai que je ne suis pas un forcené de la chronologie des petits événements. Mais me référant à des notes que j’ai prises autrefois, j’y découvre ces quelques faits qui débutent cette guerre : occupation de Tamatave le 12 décembre 1894, occupation de Majunga le 15 janvier 1895 et prise de Tananarive le 30 septembre 1895. Je conçois bien que, de cette guerre, l’on ait surtout retenu le débarquement à Majunga, la fausse bataille d’Andriba et le drapeau blanc sur le Rova à Antananarivo. Et que l’on ait donc retenu l’année 1895. Il n’en reste pas moins que c’est en 1894, à la fin de l’année que commencèrent les hostilités. Je le maintiens sans aucune perplexité. Et pour moi, la quatrième guerre franco-malgache commence en 1894 et finit en 1905, car, toujours pour moi, ce que le discours colonial a appelé la « pacification » ne fut en fait que la véritable conquête du territoire avec toutes les résistances aux huit coins de l’île.

Ranavalona ire aurait-elle été malade ? L’on a même dit qu’elle souffrait d’une sorte de complexe d’assiégée en permanence. Je n’ai rien dit de tel et suis persuadé qu’elle a toujours bénéficié d’un entendement sain et vigoureux, car elle a eu à défendre son royaume. Ceux qui sont peut-être des malades, ce sont ceux qui dans le monde d’aujourd’hui seraient tentés de reproduire cette fermeture de 1845 à 1853 et qui succomberaient avec plaisir à cette tentation pour faire la nique à la communauté internationale. Pendant ces années d’isolationnisme, le commerce n’a pas cessé ni avec le monde musulman par les Antalaotra du Nord-Ouest ni avec les Américains. Ce qui a été interrompu, c’est le commerce avec les Mascareignes – Maurice et Réunion – et leurs métropoles, qui était le commerce le plus important.

« Ny Andevonareo », signe un commentateur. Je ne comprends pas très bien. S’agirait-il d’une sorte de provocation pour mener le débat sur un autre plan ? Je tiens toutefois à lui dire que mes ancêtres qui exercèrent le fanjakana n’ont jamais eu d’andevo, c’est-à-dire d’hommes qui leur appartenaient et qu’ils pouvaient vendre. Les détenteurs de fanjakana royaux ou seigneuriaux tant en Imerina que, à ma connaissance, dans le Nord-Ouest, n’avaient pas le droit d’avoir des andevo. C’était un moyen institutionnel de maintenir un contrepouvoir et d’éviter qu’ils ne puissent constituer une force d’oppression entre leurs seules mains. Le jeune Rakotondradama qui n’avait pas de seigneurie lui étant propre et qui vivait de la cassette de sa mère, avait acheté des Masombika. Dès qu’il devint roi sous le nom de Radama ii, il les libéra tous en raison de cet ancien fenitra.

Nation naissante, la monarchie y était-elle quand même très très jeune ? Derrière une telle remarque, on décèle des éléments du discours colonial. Du temps des empires coloniaux, les colonies étaient comme de grands enfants. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, du temps de la glorification du « développement », on parla de pays jeunes, ce qui était une autre façon d’amoindrir les anciennes colonies ou les futures ex-colonies. Contrairement à ce que l’on croit à Madagascar sans oser le dire, les sociétés humaines ne naissent pas avec Jésus-Christ qui, je me permets de la rappeler, est né en l’an 4 avant Jésus-Christ, il y a 2013 ans. Or, quels qu’ils soient, tous les hommes – c’est le genre homo sapiens sapiens – ont derrière eux au moins 180.000 ans d’histoire et d’expériences. Les constructions matérielles et culturelles qu’ils ont édifiées sont diverses. Ici, on construit en bois, là en pierres, ailleurs en briques. Certains choisiront comme module social et politique idéal, la famille, le clan, la tribu, d’autres construiront des édifices sociaux et politiques complexes. De ce point de vue, si l’on veut bien considérer l’histoire des grands ancêtres, les razandrazana qui vivaient en Asie du Sud-Est insulaire, ils ont conçu des organisations complexes et hiérarchiques dès le 3e millénaire avant l’ère chrétienne. L’organisation des principautés, royaumes et empires remonte à cette époque. Et l’histoire se souvient très bien des thalassocraties austronésiennes comme celle du Champa. Les ancêtres des Malgaches actuels n’ont pas attendu l’arrivée des Antemoro et de leurs bagages culturels arabes pour se doter de véritables Etats, quelle qu’en soit leur importance territoriale. Le grand-duché du Luxembourg, les principautés du Liechtenstein, d’Andorre ou de Monaco sont bien des Etats, de même que les 70 hectares du Vatican. Quant au fonctionnement de l’Ancien Régime à Madagascar, il est l’objet d’un dénigrement systématique depuis le 19e siècle. On pourrait sans doute en dire autant des différentes républiques, et la quatrième qui s’annonce ne semble pas être meilleure.

L’existence d’un  racisme ? Ce racisme tropical me semble une évidence, même s’il n’est pas général mais seulement fréquent. En Imerina, il fut il y a une quinzaine d’années particulièrement illustré par l’auteur de Valin-Kitsaka. Mais ce fut d’Imerina que vint l’extinction de l’incendie.

Il faudrait vulgariser une bonne connaissance de l’histoire malgache – on peut en trouver sur ile-bourbon.net, rubrique Madagascar –, car tant que nous en resterons au discours colonial, nous n’aurons pour source d’inspiration que Washington, Londres, Paris, Moscou, Pékin ou Pyongyang pour trouver des solutions à nos problèmes, alors que c’est dans la campagne profonde qu’il faut aller les chercher. Avant de nommer ministre de l’agriculture ou tout autre ministre un excellent élève qui est passé par Centrale ou Polytechnique, il faudrait l’inviter à passer un an dans un village de la campagne sans eau ni électricité et loin d’une ville. Par ses conversations avec les autres villageois, il commencerait à savoir des choses. La véritable université malgache, c’est là qu’elle se trouve, c’est là que l’on a les meilleurs maîtres, surtout quand on a la chance de rencontrer une personne renommée dans son milieu et qui a eu la malchance – ou la chance ? – de n’avoir été ni à l’école primaire ni au lycée.

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