Héroïques ou folkoriques ?

Publié le par Ny Marina

lundi 22 novembre 2010, par Ndimby A.

 

Madagascar a donc découvert il y a 5 jours ce qu’est un pronunciamento, avec cette action d’un groupe d’officiers retranchés à la BANI. Le seul avantage du pronunciamiento tel qu’il se pratique, c’est qu’en principe il se déroule sans effusion de sang : un groupe d’officiers déclare son opposition au gouvernement en place, et attend ensuite que le reste de l’armée se positionne. Si la rébellion n’obtient pas de soutien, les perdants abandonnent. Dans le cas contraire, le gouvernement démissionne [1].

Mais dans le contexte malgache qui voit le règne des gros bras et des grosses gueules, il est illusoire de penser que ce genre de méthode puisse réussir sans casse. D’ailleurs, la culture générale de nos militaires dont certains tiennent plus de la brute épaisse que de l’officier flamboyant leur permet-elle de savoir ce qu’est un pronunciamiento ? Mais comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nos mutins en ont sans doute fait un par hasard en pensant effectuer un vulgaire putsch.

Hasard du calendrier, cet évènement a eu lieu le lendemain de mon éditorial précédent qui déplorait que la vision des moyens et méthodes politiques soient réduits dans notre pays à des stratégies de voyou, quel que soit le camp. Et à la lecture de certains commentaires sur le web 2.0, on peut constater que, contrairement à ce que l’on croyait, les apologues de la violence ne se retrouvent pas uniquement chez les putschistes, les gros bras, les soldats mutins, leurs supporters et griots.

« Un empire fondé sur les armes a besoin de se maintenir par les armes » (Montesquieu). Même si je doute que sa formation académique lui ait donné l’occasion de fréquenter les œuvres des auteurs classiques, je pense toutefois que Andry Rajoelina savait qu’en prenant le pouvoir de manière imposée par l’argument de la force, il aurait du mal à le garder juste par la force des arguments, qui de toute façon ne peuvent être que fallacieux : comment peut-on justifier un coup d’État, et le maquiller par des prétextes bidon ? Qui sème le vent récolte la tempête : à défaut de Montesquieu ou des manuels de science politique, il y a de bons dictons dans les pages roses du dictionnaire Larousse.

Je me demande donc s’il fallait rire ou pleurer en voyant les réactions outrées des dirigeants et des griots hâtifs suite à cet événement d’Ivato, comme à chaque période de turbulence traversée par le boutre de la Transition actuelle. Déjà je me demande si des putschistes ont légitimité à se plaindre d’une tentative de putsch, et s’ils se rendent compte du ridicule de la situation de les voir périodiquement porter des accusations de « déstabilisation, atteinte à la sécurité publique, tentative de coup d’État, organisation de rassemblement interdit, destructions de biens, trouble de l’ordre public, atteinte à la sûreté de l’État » et autres douceurs du Code Pénal sur lesquelles eux-mêmes se sont assis de janvier à mars 2009. J’aimerais sincèrement que les griots hâtifs m’expliquent ce paradoxe.

De mon très humble point de vue, il est difficile de reconnaitre à des gens comme Andry Rajoelina et sa clique la légitimité de se faire les porte-parole de l’État de droit ou de la démocratie. Humoristeà ses heures, le général Dolin Rasolosoa affirme que « les militaires ne doivent pas prendre une position politique mais doivent garder la neutralité ». On a même eu le privilège d’entendre avec surprise sur les ondes de Radio Viva une leçon au sujet de l’éthique journalistique donnée par notre consœur Lalatiana Rakotondrazafy, du fameux Club de la presse privée à la disposition de Andry Rajoelina, et qui n’a pas apprécié l’envergure donnée par TV Plus à cette affaire de la BANI. Il ne manquerait plus que les quatre mousquetaires du Club de la presse privée mis en place par Andry Rajoelina pour lui cirer les pompes ouvrent une école de journalisme, et y enseignent la déontologie aux pauvres ignares que nous sommes sans leur lumière. Il faudrait d’ailleurs réécouter les éloges sur la mutinerie du CAPSAT en mars 2009 sur la radio des 12 collines pour se dire à quel point le ririnin-dasa tsy tsaroana est une réalité bien malgache. Et le comble du comble est la déclaration du Général André Ndriarijaona : « Nous condamnons tout acte visant à semer les troubles au sein de l’armée, venant à compromettre l’unicité de celle-ci et pouvant mener à des affrontements de l’armée ». No comment.

En outre, il est évident que la force appelle la force. Quand les gens pensent que leurs libertés fondamentales sont bafouées sans aucun espoir de changement, la force et la violence deviennent une option acceptable pour certains, en fonction du degré d’éducation, des moyens et de l’échelle de valeurs de chacun. Dans la catégorie des révoltes nobles, on peut citer l’action des résistants en France contre les forces d’occupation nazies. Dans la catégorie des révoltes pas nobles du tout, on peut citer la réaction de Andry Rajoelina suite aux tracasseries administratives perpétrées stupidement par Marc Ravalomanana. Un coup d’État pour une radio fermée et un panneau trivision : je suppose que le pseudo-juriste Norbert Ratsirahonana va finir par nous démontrer que c’est de la légitime défense.

Je l’ai suffisamment répété dans ces colonnes : je suis contre la violence, et ne vais certainement pas cautionner cette mutinerie du BANI, au sujet de laquelle je vois plus un coté folklorique qu’héroïque. Surtout que je vois mal comment une opération qui semble tenir du bricolage et si peu préparée pourrait réussir, et en plus par des leaders peu susceptibles d’entraîner un engouement populaire de par leur personnalité sulfureuse et controversée. Raison pour laquelle, contrairement à ce qu’ils espéraient, les initiateurs de cette opération n’ont eu ni le soutien des autres camps militaires, ni celui des trois mouvances, malgré quelques badauds qui ont rejoint Ivato et l’appel non suivi (ou même non entendu) du Président Zafy. Mais grâce à ce coup d’éclat, le référendum a bénéficié d’une diversion de premier choix. Comme Patrick A. l’a démontré dans son éditorial, ça a tenu l’attention/opinion éloignée des lacunes dans l’organisation du référendum, et a donc servi en cela les intérêts du pouvoir hâtif. De quoi se demander s’il n’y a pas anguille sous roche. Ne nous étonnons pas alors si cette histoire a finalement fait « pschit » comme dirait l’autre : beaucoup de bruit pour rien. Mais suffisamment pour faire écran de fumée profitable à l’avancée du référendum bancal, sous les yeux favorables des quelques pelés et tordus présentés comme de vaillants observateurs internationaux.

Bien entendu, on pourrait se dire que c’est une histoire entre faucons repus et frustrés du même clan d’origine, et qu’ils n’ont qu’à en découdre entre eux. Si on pouvait être assurés que les dommages collatéraux ne concerneraient que les intéressés, on serait moins dubitatifs. De plus, ouvrir la boite de Pandore avec ce genre d’escalade de la violence amène très rapidement vers des rivages imprévisibles. De coup de force en coup de force, de vengeance en vendetta, Madagascar risque de ressembler à la Somalie, le Darfour ou la RDC. La population civile et les entreprises sont-elles prêtes à ça ? C’est certain que la réponse va être différente, selon que l’on habite (ou travaille) ou non dans le pays où l’action se passe. Et peu importe si le pois chiche qui sert de cervelle à certain lui permet d’interpréter que la non-violence contre des putschistes est un symptôme du « syndrome de Vichy ».

Tu parles Charles…

Mais au-delà du principe de non-violence et de rationalité intellectuelle qui font que les éditorialistes de Tribune.com sont raillés par les va-t-en-guerre des fora  [2] qui ne jurent que par la castagne, il y a un point central pour lequel cette mutinerie ne peut recevoir mon adhésion : comment croire qu’après tous les abus par rapport aux droits de l’homme qui se sont passés en 2002 et en 2009, on puisse tout à coup considérer des militaires comme le Général Noel Rakotonandrasana, le Colonel Assolant Coutiti ou le lieutenant-colonel Charles Andrianasoavina comme dignes de confiance et d’intérêt ? Par quelle magie de tels militaires qui ont mis leur honneur d’officier au service d’intérêts politiques partisans peuvent-ils s’autoproclamer chantres de la démocratie ?

De mon point de vue, il est donc risible de voir sur certains fora, sur Facebook ou dans certaines conversations l’enthousiasme de certains partisans des trois mouvances, qui applaudissaient l’initiative ou se sont rendus à Ivato. C’est pitoyable de voir que quand l’espoir diminue, on en arrive à se raccroche à tout et à n’importe quoi, et surtout à n’importe qui, tant que cela ravive la flamme. Commentcomprendre que tout à coup, des gens considèrent comme leurs sauveurs possible des officiers qui les pourchassaient et les molestaient avec bestialité autrefois ? Deux réponses possibles à cela, et elles sont débiles (du latin débilus : faible). La première est le principe qui dit que « peu importe qui fait quoi, tant que cela ébranle les fondations du régime de Transition ». Cela peut à la rigueur se comprendre : mais faut-il alors espérer aussi que la saison cyclonique à venir soit féroce, ou qu’une épidémie de choléra se déclare comme à Haiti ? La seconde réponse serait le principe qui dit « les ennemis de mes ennemis deviennent mes amis ». Si la pratique politique malgache se résume à cette curieuse géométrie variable, cela explique l’instabilité politique permanente dans ce pays depuis des décennies. Et cela explique toutes les alliances contre-nature, qui créent des patchworks fondés sur du sable mouvant : Ratsiraka / Zafy / Ravalomanana ; ou encore Gl Rakotonandrasana / Gl Raoelina en sont quelques exemples. À quand des alliances Manandafy / Charles Andrianasoavina ou Monja Roindefo / Trois mouvances pour que la boucle soit bouclée ?

À moins que le « Fitiavana » placé insidieusement et ridiculement dans le slogan de la IVème Républiqueait déjà commencé à faire son effet. On n’attend plus alors que l’union sacrée entre mon ami Lalatiana Pitchboule (Madagoravox) et Jeannot Ramambazafy (Madagate).

Notes

[1] Version résumée de la définition sur Wikipedia

[2] Petite leçon de latin : un forum, des fora.

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